Le terme de « pinasse », par son étymologie, fait référence au matériau de base utilisé pour la construction de ce type d’embarcations, le pin maritime. Les pinasses côtières des Landes ne sont qu’un des référents de ce mot qui, au fil du temps a servi à désigner des bateaux forts différents de taille, de construction et de vocation ; transport de fret, pêche et même guerre.
Au-delà de filiations aléatoires, voire improbables avec d’anciennes formes de navires nommés tels par approximation, on peut admettre avec une relative certitude que nos pinasses du Marensin et du Born, armées pour la pêche à la senne, existaient déjà dans leur forme actuelle – ou tout au moins très similaire – au temps de Louis XIV. En effet, leur développement est avéré dans les documents administratifs du début du XVIII° siècle qui décrivent une technique de pêche identique à celle que nous connaissons. La société savante Mémoire en Marensin a publié en 2009 une très belle et très complète brochure1 sur les pinasses de la côte à laquelle chacun pourra se reporter pour obtenir une connaissance plus fouillée de leur histoire.
La pratique de cette pêche est restée vivante, en tant qu’activité économique, jusque dans les années 1970 – 1980. La plupart des villages côtiers de l’Adour à la Gironde comptaient une pinasse, parfois plusieurs, comme à Vieux Boucau. Aujourd’hui, seules deux d’entre elles ont été conservées grâce à des associations qui en assurent la sauvegarde tout en perpétuant la tradition de la pêche. Ainsi peut-on encore assister, quelques jours dans l’année, aux sorties de l’Anne-Marie à Cap de l’Homy2 et de Estele de la Ma II, à Contis3. Beaucoup de leurs sœurs ont connu des fins diverses et souvent peu dignes des services qu’elles avaient rendus.
Armateurs et équipages
Les pinasses étaient généralement financées par des villageois aisés, propriétaires de forêts ou de petites industries, qui percevaient en retour une partie du poisson capturé. Les équipages étaient composés pour l’essentiel de métayers, résiniers et ouvriers, aux ordres d’un pilote choisi pour sa connaissance de la mer et la sûreté de son commandement. Il exerce l’autorité essentielle : il décide du moment opportun pour la pêche et fait convoquer l’équipage au son de la burne4 . Il commande les manœuvres aux rameurs et dirige la pinasse à l’aide d’un long aviron (le palot) servant de gouvernail. Ses responsabilités lui valent une double part de poisson.
La pinasse, témoignage vivant de la culture landaise
La côte landaise, hormis Capbreton, est dénuée de port ; tout au plus, quelques embouchures de « courants5 », comme à Contis, permettent de sortir à mi-marée. Le plus souvent, la pinasse était portée de son parc6 jusqu’au rivage par les hommes (à l’épaule), parfois en la faisant glisser sur des rondins. Certaines photos montrent l’embarcation chargée sur une remorque tirée par un attelage de mules. Plus tard le tracteur facilitera ces aller-retour harassants entre l’abri et le bord de l’eau. Les pêcheurs du Marensin et du Born ont ainsi développé la seule pêche possible dans ce contexte de frontalité face à l’océan. Une pêche qui n’avait rien de folklorique. Longtemps, elle est restée une nécessité économique pour des gens très modestes qui y trouvaient un complément de ressources vivrières susceptibles d’atténuer la grande frugalité de leurs moyens de subsistance. Ces métayers, résiniers, ouvriers n’étaient pas spécialement des marins accomplis ; beaucoup ne savaient pas nager et il fallait du courage, même par mer belle, ce qui était la condition, pour affronter la rigueur des éléments, souvent la nuit, après avoir gagné le rivage à bicyclette (le bourg est à 10 km de la côte). Les changements socio-économiques des années 60 ont eu raison de cette activité devenue incompatible avec les conditions de la vie moderne : emplois à horaires fixes, élévation du niveau de vie et du confort, réticence par rapport à la dureté physique, baisse aussi des captures, avec le développement d’une pêche industrielle dévastatrice.
Mais le souvenir de ce passé demeure vivace dans la mémoire des populations locales. En effet, rares sont les familles qui n’ont pas un lien au moins indirect avec la pinasse. Tout le monde se rappelle la fièvre qui gagnait le village lorsque retentissait l’appel de la burne apportant l’espoir qu’un peu de poisson viendrait agrémenter le menu du lendemain. Ce souvenir est aussi dans les récits transmis de génération en génération soit de pêches exceptionnelles, soit d’anecdotes d’autant plus truculentes lorsqu’elles sont narrées en gascon, langue riche en métaphores et savoureuse à souhait.
Dans le bulletin de Mémoire en Marensin 7 consacré aux pinasses de la côte, Jean Magnes souligne le caractère anachronique, et pour cela même précieux, de la perpétuation de notre tradition, en rapportant les réflexions d’un estivant, ayant assisté, par hasard, au petit matin, à une pêche à la pinasse : « Quand je rentrerai chez moi et que je raconterai ce que je viens de voir, personne n’osera me croire. On va me prendre pour un détraqué, un halluciné ! Et pourtant, j’ai bien vu, dans les Landes, en 1994, sur une plage déserte, des pêcheurs à la rame, tirant un immense filet et parlant une langue que je ne connaissais pas. »
Transmettre ce patrimoine
Notre association œuvre pour l’entretien et la préservation de la pinasse Estele de la Ma II et de la pratique de pêche qui lui est liée. Elle est désormais, avec l’association des Pélicans de Lit et Mixe, la seule instance à veiller sur le dernier élément encore visible de notre patrimoine maritime. La tâche est ardue, eu égard aux frais d’entretien d’une embarcation fragile et d’un âge vénérable. Depuis 2010, la tradition de l’omelette pascale a été réactivée : le lundi de Pâques, les pinassayres5 tiennent leur assemblée générale avant d’assister à une messe qui leur est spécialement dédiée. Après la messe suivie par de nombreux fidèles, plus de deux cents convives viennent partager l’omelette, témoignant une nouvelle fois de l’intérêt persistant des Juliennois pour leur pinasse.
Tous les efforts de l’association visent la conservation et la transmission effective d’un patrimoine qui va bien au-delà du bateau lui-même, si remarquable soit-il, et qui touche à l’identité culturelle du village et de la côte landaise.
EN 2013 a été mise à l’eau « LA SAUVAGINE » pinasse de VIEUX BOUCAU construite par l’association La Pinasse Boucalaise. Elle peut être propulsée à la rame, à la voile ou au moteur.
En 2017 est né » LA CAPBRETONNAISE » Pinasse de CAPBRETON à la rame ou à la voile.
En ces deux occasions ESTELE DE LA MA, leur sœur ainée, était présente avec son équipage.
Vous noterez que seules ESTELE DE LA MA et la ANNE -MARIE de LIT ET MIXE avancent à la force des bras de son équipage.
1 : Bulletin N° 6, 1995
2 : Commune de Lit et Mixe
3 : Commune de Saint Julien en Born
4 : Conque marine servant d’instrument à vent pour produire un son puissant. Ce coquillage dont le nom scientifique est strombus gigas est originaire des Caraïbes et de Floride
5 : Cours d’eau de débit modeste qui se fraient un passage vers l’océan à travers le cordon dunaire.
6 : Cabane en bois servant d’abri à flanc de dune
7 : N° 6, 1995
8 :Terme gascon désignant les acteurs de la pêche à la pinasse
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